Accueil A la une Administration tunisienne : C’était une source de fierté, c’est devenu un fardeau

Administration tunisienne : C’était une source de fierté, c’est devenu un fardeau

Après avoir résisté aux multiples chocs générés par la Révolution tunisienne, l’image d’une administration solide et efficace s’est décomposée, tel un puzzle mal agencé. À l’origine, résident une manipulation de la loi et des institutions, la remise en cause des mécanismes de représentation, la perte de valeurs et du respect de la loi.

Prédisant le devenir de la Tunisie et de son peuple au lendemain de l’avènement du 14 janvier 2011, des géopoliticiens occidentaux, dont Rémi Leveau, ont envisagé trois scénarios radicaux.

Ils ont évoqué le scénario militaire avec une probable réapparition d’un nouvel homme providentiel, le scénario démocratique chaotique et, enfin, le scénario islamiste.

Ceux qui ont plutôt tablé sur un scénario médian, arguant que le pays dispose « d’une administration solide, d’une culture de la négociation et d’une profonde aspiration démocratique ancrée dans la population » n’avaient ni tout à fait tort ni tout à fait raison. Car si l’administration a, dans un premier temps, réussi à maintenir l’État debout, elle est ensuite devenue un fardeau et un terrain où l’on guerroie à souhait.

Résistance au désordre

L’avocat spécialisé en droit administratif et public, Mohamed Bouzayane, interrogé par La Presse, fait état de deux grands temps pour l’administration tunisienne depuis le 14 janvier 2011. Le premier étant celui de la résistance au désordre et au chaos générés par la Révolution. Alors que le second est marqué par une certaine déchéance où l’administration était devenue elle-même un fardeau et non une locomotive de développement.

« Au lendemain de la Révolution, l’État tunisien a subi un triple choc. Je parle ici d’une métamorphose policière, un désengagement économique et une mondialisation libérale. Pourtant, l’administration héritée de l’époque bourguibienne et celle de Ben Ali était encore présente et était attachée à ses pouvoirs régaliens avec sagesse et raison. D’ailleurs, l’on se rappelle tous que les salaires continuaient à être versés, même en l’absence de gouvernements, et que les services de santé, de l’école publique, la sécurité publique et autres étaient assurés sans relâche. Ce qui constituait, en soi, une fierté pour un pays confronté à une phase transitoire », rappelle non sans fierté l’avocat.

Selon lui, cette même administration était représentative d’un État moderne et souverain et non d’un gouvernement. « Cette administration faisait alors fonction de miroir : le peuple s’y voyait et se reconnaissait en elle, malgré ses carences », nuance notre interlocuteur.

Une administration solide et efficace

Après avoir résisté aux multiples chocs générés par la Révolution tunisienne, l’image d’une administration tunisienne solide et efficace s’est décomposée, tel un puzzle mal agencé, de l’avis de l’expert. À l’origine, résident une manipulation de la loi et des institutions, la remise en cause des mécanismes de représentation, la perte de valeurs et du respect de la loi.

« Quand l’absence des règles disciplinaires, d’organisation sociale et civique des individus se conjuguent ensemble, le résultat ne peut être que décevant. Et l’administration deviendra alors un fardeau, cessant d’être une locomotive pour le développement, et un mécanisme qui garantit le vivre-ensemble », alerte l’avocat.

De son côté, l’ancien ministre de la fonction publique, Kamel Ayadi, considère  son tour que l’administration tunisienne « a payé la facture de la paix sociale ». Recrutements exceptionnels, intégration des blessés de la révolution et des bénéficiaires de l’amnistie générale — au total 7 616 personnes — et ce, dès le début de la transition démocratique.

Dans la même optique, l’Institut national de la statistique (INS) note que l’administration tunisienne a recruté 604 200 salariés en 2015, contre 444 900 salariés en 2011, soit une augmentation de plus de 35% en seulement quatre ans. En 2017, le Fonds monétaire international (FMI) a estimé que les agents de l’administration tunisienne seront près de 650 000 fonctionnaires, représentant une masse salariale de l’ordre de 14,4% du PIB, soit les deux tiers des revenus fiscaux et la moitié du total des dépenses de l’État.

Les maux persistent

Études et rapports autour de l’administration tunisienne ont été multipliés ces dernières années. Or, cette même administration, malgré l’augmentation des effectifs et des salaires, réunit aujourd’hui touts les maux, y compris la lourdeur et l’inefficacité. D’ailleurs, en mai 2016, la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie (Ctfci) a révélé que la lourdeur administrative a contribué à la détérioration du climat des affaires en Tunisie. Seuls 7,7 % des dirigeants interrogés se sont montrés satisfaits de l’efficacité des services fournis par l’administration. En novembre 2017, le Centre des jeunes dirigeants d’entreprises (CJD) a organisé une conférence autour d’une nécessaire réforme de l’administration.

Le président du CJD a déclaré à propos de l’édition 2018 de l’indice Doing Business, où la Tunisie a perdu 11 places pour se retrouver à la 88e place mondiale sur 96. Perdant ainsi 46 places en 7 ans. « L’analyse de cet indice montre que la Tunisie fait face à un problème structurel, celui de la bureaucratie».

Des projets au goût d’inachevé

En janvier 2022, Tunis a abrité le 13e comité de pilotage du projet de jumelage européen « Appui institutionnel à la mise en œuvre de la stratégie de modernisation de la fonction publique tunisienne ». Ce projet vise à moderniser l’administration publique tunisienne, particulièrement dans la gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique.

L’Institut national du service public (Insp) a présidé ce projet de jumelage, débuté en 2019 et financé par la Commission européenne à hauteur de 1,5 million d’euros. L’Institut s’est ainsi engagé aux côtés des deux partenaires européens du projet : la Direction générale de la fonction publique (Dgafp) française et le Service public de la formation (SPF) belge Bosa. D’une durée initiale de trois ans, ce projet a été prolongé de sept mois, jusqu’au 31 juillet 2022.

Malgré les études, les séminaires et les rapports, l’administration tunisienne souffre des mêmes maux structurels, en attendant une vraie refonte pour une véritable remise sur les rails.

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